PROCES EN BIGAMIE... OU  "TRIGAMIE "

    

 

 

C'est un bien curieux procès que nous relatent le 28 avril 1602 les archives de Bayonne, jugeant Jehan de Men, prisonnier, pour crime de "trigamie." 

Ce mauvais garçon, repris de justice déjà emprisonné par trois fois, va devoir payer ses nouvelles fredaines.

En effet, alors que ses deux premières femmes, Sarrancine Dabtus et Guiraultine de la Forcade, sont encore vivantes et les mariages non dissous, il a contracté avec Johailnette de Larrodé, de la paroisse de Saint-Cricq (du Gave), un troisième mariage. Guyraultine de Laforcade, vient se plaindre de ce "perfide abuseur de femmes et filles" et réclame la restitution de "25 francs bourdalois par lui pris et dérobés".

Or, nous sommes, à cette époque, devant un certain flou juridique quant au choix des punitions appliquées aux bigames... ou trigames. Celles-ci restant assez arbitraires, voire fantaisistes, d'un tribunal à l'autre : Certains tribunaux punissent le bigame de la même peine que l'adultère, d'autres lui appliquent la peine du faux (tromperie sur la personne et faux serment), d'autres encore retiennent la peine du sacrilège, puisque le sacrement de mariage a été profané  .

Un arrêt du Parlement de Bretagne du 23 août 1567 a condamné un procureur au Présidial de Rennes, bigame, a être pendu. En 1626, un arrêt du Parlement de Paris condamne également à la potence un baron de Saint-Angel "qui avait épousé plusieurs femmes en même temps".

Jehan de Men, lui,  aura la vie sauve. Si le tribunal de Bayonne a été plutôt clément, c'est sans doute que ce séducteur a une constitution solide et que l'on a besoin de bras aux galères où il sera utilisé, sa vie durant.

Cette dernière peine va d'ailleurs prévaloir par la suite lors de jugements semblables: galères pour les hommes, bannissement ou emprisonnement dans les maisons de force pour les femmes. Chacun ayant, au préalable, subi la marque ou le carcan, fait ensuite amende honorable, un jour de marché, en chemise et la corde au cou, portant un flambeau de cire allumé.

De plus, comme la société a été bafouée dans son ordre moral, elle va y trouver une occasion de défoulement et s'amuser du perturbateur: le condamné sera affublé du symbole phallique des deux quenouilles, la femme de deux chapeaux, et ils porteront un écriteau où se lira les causes de la condamnation.
Jehan de Men aura droit à "trois quenouilles à la saincture", (autant de quenouilles qu'il a eu de femmes), sera puni du fouet jusqu'au sang et fera amende honorable devant la grand porte de l'église de Bayonne.

L'Eglise se considère comme particulièrement impliquée, une telle affaire est, bien entendu, un sacrilège.
Il est saisissant de noter que, en droit canon, on désignait sous le même nom de bigame celui qui avait été marié deux fois et celui qui, n'étant marié qu'une fois, avait épousé une veuve qui se trouvait bigame devant Dieu.

L'église catholique a d'ailleurs longtemps été opposée aux secondes noces et prônait la chasteté pour les veufs et veuves. D'où une certaine réprobation de la société que l'on retrouvait jusqu'à nos jours dans les nombreux "charivaris" accompagnant les remariages .

Quant à l'usage d'affubler la femme infidèle ou bigame de deux chapeaux, (autant qu'elle avait eu de maris), il était très répandu et on appliquait la même peine infamante aux "maquerelles publiques" qui étaient punies du fouet "étant coiffées d'un chapeau de paille ».

Après la Révolution, la réglementation des peines devient plus claire : Le Code pénal de 1791 prononce une peine de 12 ans de fers contre les bigames, celui de 1810 (art. 310) la peine des travaux à temps.

Selon les articles 201 et 202 du Code civil, le second mariage d'un bigame est déclaré nul, mais produit tous les effetS civils si le mariage a été contacté de bonne foi et les enfants seront légitimes. S'il y mauvaise foi, les enfants seront adultérins.

La prescription de l'action publique ou privée est acquise après un délai de 10 ans écoulés. Moment de soulagement où le bigame (... ou  "trigame") peut enfin vivre sa vie... à moins qu'il ne soit repris par le désir de nouvelles épousailles.

Anne-Marie BELLENGUEZ-DARNET

(1990 Cercle Généalogique du Pays Basque et du Bas-Adour)

 

Relevé dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert :

BIGAMIE
S. f. (Jurisp.) est la possession de deux femmes vivantes en même tems, contractée par le mariage. Voyez MARIAGE.

Ceux qui étoient convaincus de bigamie chez les Romains, étoient notés d'infamie ; & anciennement ils étoient punis de mort en France. V. POLYGAMIE.

Ce terme, en Droit, s'entend aussi de deux mariages successifs, ou du mariage de celui qui épouse une veuve. Ce sont, selon les canonistes, deux empêchemens de parvenir aux ordres ou à un évêché, à moins qu'on n'en ait dispense. Ce point de discipline est fondé sur ce que dit S. Paul, qu'un évêque n'ait qu'une seule femme. I. Timoth. iij. 2. Apost. const. 17. 18.

Il y a deux sortes de bigamie ; la réelle, quand un homme se marie deux fois ; & l'interprétative, quand un homme épouse une veuve ou une femme débauchée ; ce qui est regardé comme un second mariage. C'est pourquoi le P. Doucine distingue & remarque qu'Irenée ayant été marié deux fois, doit avoir été en ce sens coupable de bigamie, & qu'il fut évêque de Tyr, contre la disposition expresse des canons. Il montre, avec S. Jérôme, que ceux qui épousent deux femmes, après qu'ils ont été baptisés, sont bigames : mais S. Ambroise & S. Augustin disent expressément que celui-là est bigame, qui épouse une femme qui avoit déjà été mariée, soit avant, soit après le baptême. Hist. du Nestorianisme.

Les canonistes prétendent même qu'il y a bigamie qui opère l'irrégularité, si un homme, après que sa femme est tombée en adultère, a commerce avec elle, ne fût-ce qu'une fois.

Il y a une autre sorte de bigamie par interprétation, comme quand une personne, qui est dans les ordres sacrés, ou qui s'est engagée dans quelque ordre monastique, se marie. Le pape en peut dispenser, du moins y a-t-il des occasions où il le fait. Il y a aussi une sorte de bigamie spirituelle, comme quand une personne possede deux bénéfices incompatibles, comme deux évêchés, deux cures, deux chanoineries, sub eodem tecto, &c. (H)

 

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