LES GRÈVES DES RÉSINIERS  

Anne-Marie  Bellenguez

 

L'image des Landes animées de bergers sur leurs échasses et de résiniers est bien vivante dans notre mémoire collective.

Les bergers et bergères, élevés sur leurs hauts bâtons au-dessus des taillis veillaient paisiblement sur leurs troupeaux dispersés au milieu des fougères lorsque vint l'ingénieur Chambrelent.

Vers 1850 il bouleverse le paysage et transforme les plaines de sable en plantations massives de pins. Les bergers, premiers contestataires de la Haute Lande vont s'insurger contre cette forêt qui les repousse.
Le coup de grâce est donné par la guerre de Sécession 10 ans plus tard qui entraîne une revalorisation brutale des cours de la gemme et les hautes autorités décident que la forêt landaise se doit de produire d'abord de la résine.


Après avoir souvent mis le feu aux plantations naissantes, les bergers devront céder la place et souvent se muer eux même en résiniers pour survivre.

 
Il y a toujours eu des résiniers dans les Landes et de temps immémoriaux la récolte de la résine se faisait dans un trou creusé au pied de l'arbre dans le sable et tapissé de mousse.


Vers 1840 l'avocat bordelais Hugues, développant une idée du Dacquois Hector Serres, fait breveter le pot de résine, pour une production propre et de meilleure qualité.


La distillation elle-même s'améliore grâce au système Dives (nom du pharmacien de Mont-de-Marsan qui en est l'inventeur vers la même époque)
Cette récolte intensive va faire de la France le second producteur de résine dans le monde et le premier en Europe.

  

André Vidal 

 

 Collection particulière


Les propriétaires de pins s'enrichissent, mais vont exploiter plus systématiquement encore leurs métayers résiniers et la révolte sera endémique.
Dès 1863 des émeutes éclatent à Sabres où plusieurs gemmeurs ont été arrêtés puis condamnés à de la prison ferme. Napoléon III ordonnera leur libération.


Vers 1902 le prix de la résine s'envole et sera en hausse constante. La barrique de 340 litres qui se négociait à 30 francs en 1904, passe à 100 voire 120 francs en 1906. Les métayers pensent avoir le droit de rêver à un avenir meilleur. Ils pensent obtenir la reconnaissance de la valeur de leur métier harassant. En fait ils prendront conscience des abus des propriétaires de forêts qui se refusent à jouer le jeu de la participation et leur espoir s'effondrera.


Vers 1906 naissent en France de nombreux syndicats. Les premiers et les plus importants sont crées dans notre région par les résiniers. La protestation se coordonne et s'institutionnalise Cette fois les résiniers, amoureux de leur métier, osent revendiquer en groupe organisé la dignité de leur travail et leurs légitimes désirs de mieux-être pour eux et leur famille. Et c'est l'entraide qui va s'organiser. La SFIO, très active draine le plus de syndicalistes dans nos régions.


Le premier syndicat, né à Lit et Mixe en décembre 1905, est suivi par celui des résiniers du Marensin créé au tout début de 1906, avec son siège social à Capbreton.
« Il entraîne le déroulement de grandes grèves  parties en février 1906,

 

 à Lit-et-Mixe, Ste Eulalie en Born ? qui ne s'achèvent qu'en 1907. La première, en mars-avril, touche les régions de Linxe, Lesperon, Moliets-et-Maa.

La deuxième, en mai-juin, s'étende aux régions de Capbreton, Castets, Levignacq, Mézos, Mimizan, Seignosse, Soorts et Soustons.

 La plus importante grève est celle de Lesperon qui éclate le 5 juin 1906 après la réunion de quelques métayers inculpés et condamnés à 6 mois de prison avec sursis. »

 

Collection particulière

Les 30 000 à 40 000 gemmeurs qui travaillent alors dans les nombreuses forêts de pins utilisent un principe de grève tournante qui déconcerte les autorités.
Ces grévistes ont l'atout indéniable de pouvoir interrompre leur activité sans que l'outil de travail soit abîmé. Pourtant les ruptures du contrat de travail peuvent justifier un licenciement ou l'intervention de la force armée. Les gendarmes et la troupe seront effectivement appelés à intervenir et il y aura des heurts sanglants et des victimes. Malgré les risques encourus, la grève va jouer tout au long de la troisième République un rôle majeur dans la vie politique et dans la vie sociale.

Au printemps 1932, les gemmeurs des forêts communales du secteur de Capbreton réclament une augmentation : 83 gemmeurs communaux manifestent à Hossegor. Ils finissent par obtenir une augmentaton de 20% sur la barrique de gemme, grâce à l'action d'un élu municipal communiste de Soorts, Gilbert Vital.
La célèbre manifestation de Mont-de-Marsan du 18 mars 1934 a réuni la quasi-totalité des gemmeurs.
Puis se succédèrent des grèves très dures en 1919, dans les années 1934 à 1936, et celle de 1937, grève générale qui dura près d'un mois
A ce terme, les propriétaires excédés finirent par accepter un dialogue plein de méfiance et acceptèrent une timide modification du statut de métayer.
Les grèves seront endémiques tout au long des décennies. On assistera aux derniers mouvements sociaux au début des années 1970, alors que la dernière évolution du gemmage prône le gemmage activé par l'injection d'acide sulfurique et le remplacement du pot de résine par un sachet collecteur en matière plastique, faisant fi de toutes les techniques et savoir-faire qui étaient l'apanage du bon résinier.

Les avancées sociales furent très lentes.

En 1936 le maire de Capbreton écrit au Préfet qu'aucun syndicaliste n'est employé dans ses services.
Il fallut attendre 1968 pour qu'une convention collective vienne réglementer la profession. Les abus sont hypocritement et officiellement dénoncés mais il est trop tard. A cette époque, la mort du métier est programmée. L'Etat et les gros propriétaires forestiers qui se sont enrichis avec la résine ont décidé en coulisse une autre orientation à la forêt de Gascogne. Celle-ci sera désormais papetière. Les entreprises Saint-Gobain ou les Papeteries de Gascogne ont des arguments financiers qui réjouissent les propriétaires, prêts à réaffecter leurs parcelles pour cumuler de gros espoirs financiers et la disparition des gemmeurs importuns.
 « La réaffectation de la forêt à destination de l'industrie papetière a ramené le nombre des gemmeurs à 472 en 1977, puis à 223 en 1983 et enfin à 76 en 1989. En 1990, tout était terminé ».
Ainsi, comme on l'avait vu pour les bergers, c'est dans une indifférence quasi-générale que les gemmeurs, si intimement liés à l'histoire de notre belle forêt ont totalement disparu du paysage.

Anne-Marie Bellenguez

 

SYNDICAT des RESINIERS du MARENSIN. Siège Social Capbreton.

Imprimerie, papeterie Jean Mauriet, au Sablar, près le pont (Dax).


Titre I Constitution du Syndicat
Article premier
Entre les soussignés et ceux qui adhéreront aux présents Statuts, il est formé un Syndicat, ou une Association professionnelle qui sera régi par la loi du 31 Mars 1884 et par les dispositions suivantes :

Article 2.
L'Association portera le nom de "SYNDICAT DES RÉSINIERS du MARENSIN".
Son siège sera établi à Capbreton; sa durée sera illimitée et son fonctionnement régulier commencera le 1° janvier 1906.
Titre II Objet du Syndicat
Article .3
Le Syndicat a pour objet général et exclusif l'étude et la défense des intérêts économiques de ses membres. il se propose spécialement d'établir des relations de sympathie et d'intérêt entre les ouvriers de l'industrie des résines. de poursuivre l'amélioration du sort de ses membres. en réglant dans les meilleures conditions possibles leurs rapports avec les patrons.
TITRE III. Composition du Syndicat
Article 4.
Peuvent être membres du Syndicat toutes personnes exerçant ou ayant exercé la profession de résinier. des métiers similaires et des professions connexes telles que transport ou distillation de résines.
Article 5.
Pour faire partie du Syndicat il faudra être présenté par deux membres et agréé parle bureau à la majorité simple.

Article 6.
Tout membre payera une cotisation de quatre francs par an et un franc de droit d'entrée. Lorsque dans une même famille il y aura plusieurs membres au Syndicat, le chef de la famille seul payera la cotisation entière. chacun des autres membres ne payera que la moitié de la cotisation et du droit d'entrée. La cotisation est payable à la première assemblée.

Liste des membres présents au syndicat des résiniers en 1906 :

LACORNE Pierre, Président.

LESBATS Dominique, Trésorier.
LACAULE Pierre, Secrétaire.
LANUSSE Etienne (dit Pierre), Secrétaire.
LACORNE RayNAPIAS Jean.
LABROUCHE Marcellin.
BELLOCQ Gustave.
LOUSTALOT Jean.
LAHARY Bertrand.
LARTIGUE Ferdinand.
PUJOL Etienne.
LESBATS Gaston.
DULONG Etienne.
DAUJÉ Arnaud.
VIVENSANG Jean.
CAPDAU Jean.
BEGAULE François.
CASTILLON Auguste.
BERGÈS Pierre.
LACAULE Arnaud.
LESBATS Jacques.
DULAURENT Camille.
BIRON Henri.
LARTIGUE Jean.
MESPLÈDE Félix.
SOUBRAN Salvat.
SARRAUTE Joseph. mond.
POUCHUCQ Amédée.
BEDAT Barthélemy.
GROCQ Jean.
PINSOLLE Marcel
CASTILLON Auguste.
BERGÈS Pierre.
LACAULE Arnaud.
LESBATS Jacques.
DULAURENT Camille.
BIRON Henri.
LARTIGUE Jean.
MESPLÈDE Félix.
SOUBRAN Salvat.
SARRAUTE Joseph.

En 1906 le Syndicat des résiniers du Marensin a son Siège Social à Capbreton 
chez  Salvat SOUBRAN

D'après M Costabadie, propriétaire de la maison "du Rey" , celle-ci a été une échoppe épicerie  et  aussi le siège social du Syndicat des résiniers. C'était en effet le  logis du syndic des résiniers Amédée Pouchucq.  

 
La Chambre Syndicale sera formée des mêmes auxquels s'ajouteront: Mrs. MERCADIEU, LARTIGUE Jean, SARRAUTE Jean, BREBET Joseph, SECAT Joseph, BELLEGARDE Auguste, LALANNE, et BEGARD.

Une scission va créer, en 1931, le Syndicat des gemmeurs de Capbreton: "Bien-être et Liberté", avec M.M.. DUCARME Lucien, SARRAUTE Pascal, DUPRAT Jean, FONTAGNE Paul, PINSOLLE Louis, LACORNE Jean, SECAT Joseph et BELLEGARDE Auguste.

 


 

LE GEMMAGE OU RESINAGE

Le gemmage du pin maritime commence lorsque celui-ci atteint un diamètre de 30 cm. environ. Il a alors près de 30 ans.

Au printemps, on ouvre à la base du fut une incision. C'est la première "pique"au "hapchot" outil à grand manche, profonde de 1 cm. La "care" ouverte est un peu plus large et haute de 10 cm environ. Les copeaux ainsi détachés sont les "gemmelles", précieuses pour allumer le feu.

Le suc résineux s'écoule par le bord supérieur de la coupe et on le recueille dans le "cutyot",
appelé aussi "cuchot", le pot de résine.

Toutes les semaines on ravive l'écoulement en pratiquant la coupe d'un mince copeau à la partie supérieure de l'entaille qui s'élève ainsi d'environ un mètre par an . Quand la care devient trop haute, le hapchot est remplacé par une petite hachette, le "rasclet", instrument au manche plus long et au fer plus léger.

Au bout de 4 ou 5 ans on abandonne cette première care pour en ouvrir une autre.

On continue ainsi en faisant tout le tour de l'arbre jusqu'à revenir dans l'intervalle des anciennes coupes.

Le pin est abattu après une trentaine d'années d'exploitation.

Le "hapchot" n'existe que depuis la fin du 19ème siècle, environ. Jusque là, et avant l'invention du pot de résine par Hugues, les gemmeurs trvaillaient avec un outil à manche plus court, ce qui les obligeait à monter sur une échelle, une perche à échelons, le "pitey". La résine coulait contre le pin dans un "crot", simple trou dans la terre tapissé de mousse. On la ramassait une à deux fois par an.

Les chemins forestiers ont été créés par les résiniers qui allaient d'arbre en arbre selon un trajet immuable, et ils étaient entretenus ainsi par leur simple passage.

 



 

Vers 1955, on voit apparaître le gemmage activé par l'injection d'acide sulfurique et la résine est recueillie dans des poches en matière plastique placées sous la care
 

 


 

 Extrait de l'Almanach pour l'année 1889 à l'usage des gemmeurs
par J .Baptiste Hostinde DESPAUX., instituteur public à La Bastide d'Armagnac.
{Réf Br 8°1096Archives Départementales de Mont de Marsan.)

Janvier 1889 : Rien.
Février 1889 : Préparer les pins qui doivent être résinés en enlevant l'écorce jusqu'à 0m 20 au dessus de la hauteur que l'on veut donner à la care. Vers la fin du mois, planter les pointes devant soutenir les pots ou récipients. Nettoyer ceux-ci et en faire l'approvisionnement à pied d'?uvre. Poser les zincs et enfin dans les pignadas où le système «Hugues » n'est pas appliqué, on fera les crots.
Mars 1889 : Commencer le piquage des pins.
Avril 1889 : Vers la fin du mois, si le temps a été chaud, on fait la première cueillette et on amasse de la résine.
Mai 1889 : On continue la première cueillette de la résine et on commence la seconde vers la fin du mois.
Juin 1889 : Vers la fin du mois commencer la quatrième cueillette de la résine.
Juillet1889 : Cinquième cueillette de la résine.
Août 1889 : Sixième cueillette de la résine.
Septembre 1889 : Septième et dernière cueillette de la résine. Emmagasinement des récipients
Octobre Novembre Décembre 1889 : Rien.

Anne-Marie Bellenguez
 19 octobre 2001


 


 

Département des LANDES, bois communal de Capbreton

Gemmage par voie de régie autorisé par décision du sous-secrétaire d'Etat Président du Conseil d'administration des Eaux et Forêts à la date du 23 mars 1888. Etat des matières résineuses récoltées du 19 juillet au 1er décembre 1888...

Récapitulation :

LAFONT à Benesse-Maremne   23 barriques, 14    quintaux soit 531 frs 31 dûs à la commune.

LACOUTURE à Labenne           22 barriques, 11,5 quintaux soit 487 frs 80  "    "  "       "

de GOROSTARZU à St Vincent 34 barriques,  11,5 quintaux soit 751 frs 80  "    "  "       "

DODON à Benesse-Maremne    26 barriques,   0,5 quintaux soit 584 frs 85  "    "  "       "

DODON résine non soumise       5 barriques,   15   quintaux soit 124 frs 23  "    "  "       "  

Total des barriques récoltées  112 barriques

Total des sommes dûes à la Commune                                 2479 frs 71

A Capbreton le 7 janvier 1889.

 


 

PIERRE HUGUES, LE PÈRE DU "POT DE RÉSINE" 
d'après Pierre Cuzacq


 

Pierre Hugues est né à Bazas, (Gironde), le 25 frimaire an 3 (15.12.1794), fils de Guillaume,
greffier de la justice de paix à Bazas et de Marie Félicité Lavenue. Il s'est marié en 1823 à Adèle Henriette Godefroy, née à Paris.

Il possède à Pessac (Gironde) le domaine de Capdebos.

En 1831 il invente un semoir, un sarcloir, utilisables pour la culture du petit millet à épis.

En 1844 il conçoit l'idée d'utiliser pour la récolte de la gemme un récipient mobile: un pot de terre vernissé suspendu au pin par un clou que l'on monte à volonté et qui, avec une lame de zinc moulée recueille la gemme au fur et à mesure qu'elle s'écoule.

En 1846 il devient fermier des dunes du Sud, il habite Saint-Esprit (Landes) et fait traiter ses gemmes chez M Langon à Ondres (Landes).

Le 16.11.1847, l'usine d'Ondres est ravagée par un incendie. Il achète alors à Tarnos (Landes), proche de la Route Nationale10, une parcelle de terrain où il envisage de construire une usine pour la fabrication des matières résineuses.

En 1848, il invente une chaudière pour la cuisson de la gemme et la production de colophane ambrée, non colorée.

Il envisage d'établir un atelier à Bénesse-Maremne, (Landes), associé à un propriétaire.

Il décède le 16.02.1850 à Saint-Esprit et est inhumé au cimetière de Saint-Etienne. Il avait testé à Bordeaux le 15.01.1846 par-devant M˚ Loste.


Hector Serres,  pharmacien de Dax, suggère en 1836 de recueillir la résine dans une auge de terre placée au pied du pin. Il est donc le précurseur immédiat de Pierre Hugues : 

 

 

 


 

 

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