D'ASTANIERES ; "Une rue de Capbreton porte son nom"

 

 CLÉMENT D'ASTANIÈRES.(1841-1918)


UN ARTISTE STATUAIRE ORIGINAL, À REDÉCOUVRIR.


 Le comte Eugène Nicolas Clément, d'Astanières, est né à Paris, rue Montmartre, le 2 mars 1841. La famille du comte descend d'une très ancienne famille du Languedoc, dont le fief est à Pezenas (Hérault).
 Son père François Xavier Ursule Adolphe d'Astanières a acheté en 1845 le château de Villiers le Bel en Seine et Oise où Clément passera de nombreuses vacances, allant aussi à "la Madone", propriété familiale du côté de sa mère Lucie Levasseur de la Roncière, à Pezenas,
 Très jeune, Clément d'Astanières est considéré comme un original. Sa famille  comprend mal l'enthousiasme qu'il manifeste pour les arts, alors que par tradition, on est militaire chez les d'Astanières. Clément, artiste complet au talent précoce, rêve de peinture, de sculpture, aime passionnément la musique, excelle dans le chant et voudrait consacrer sa vie à la création artistique.
Il a aussi deux autres passions, qu'il partage cette fois avec son père, et ce sont la chasse et la pêche. Mais ce garçon manque de mesure. Quant il ne passe pas son temps à mettre des débris de pierres dans toute la maison, il part n'importe quand,  à n'importe quelle heure et ramène toujours du gibier, mangeable ou pas d'ailleurs. Les cuisinières de la maison ont du mal à assumer le travail de plumage et de cuisson.

 Une fois de trop, alors qu'il revient avec une carnassière curieusement remplie , son père décide, pour le corriger, que dorénavant il devra manger seul le produit de sa chasse et en totalité. Cela le calme un peu mais ses victimes continueront de lui servir de modèles parfois jusqu'au pourrissement, ce qui ne facilite toujours pas l'ambiance de la maisonnée.

 Clément d'Astanières suit des études brillantes au collège Rollin (actuellement  lycée Decourt, rue Lhomond), puis à l'institution Massin, rue des Minimes à Paris. Enfin il est dirigé vers la carrière des armes qu'il embrassera aussi avec passion. 

 En1860 il est dans le régiment de 2° hussards et part en garnison à Vienne. On le retrouve à l'école de cavalerie de Saumur, à Thionville, à Pont à Mousson. Entré à Saint-Cyr, il participe à l'expédition du Mexique en 1864. Ses condisciples et leurs montures y sont une source inépuisable de modèles qu'il dessine et sculpte avec beaucoup de talent.

 

 A son retour il a 23 ans et doit se marier avec une jeune lorraine, Melle Marie Mathilde,Charlotte, Jeanne de Pange. Issue d'une famille illustre (son grand-père Georges Mouton, comte de Lobau, était pair et maréchal de France), elle est la soeur du marquis Jean de Pange.


 Au début de l'année 1870 Clément dépose, comme il est d'usage pour un officier, une demande de permission de mariage, accueillie favorablement après enquête des gendarmes de Mets qui concluent à la bonne moralité de la jeune fille, déclarent que ses biens lui permettent de subvenir à ses propres besoins et qu'elle ne tient pas cabaret . Pour l'occasion Monsieur d'Astanières père a acheté pour son fils le château de Montiers  près de St Just-la-Chaussée (Oise). Mais hélas, le 15 juillet, pratiquement à la veille de son mariage, la guerre franco-prussienne de 1870 éclate et, le 27 juillet, Clément est en campagne avec le maréchal Bazaine. 

 Voici comment un hussard rescapé raconte la bataille du 16 août 1870 au lieu dit Mars la Tour, à une quinzaine de km au sud de Metz:
"Nous attendons toujours les ordres de Bazaine pour partir sur Verdun, On nettoie les fusils, on abreuve les chevaux, on fait la soupe. A 9 heures du matin nous sommes surpris par les Prussiens, qui attaquent au tir d'artillerie. Après un moment de panique où les marmites de soupe sont renversées, nous prenons les positions de combat et Bazaine  donne l'ordre de se jeter en travers des Prussiens qui sonnent la charge. D'un élan irrésistible nos escadrons traversent les rangs allemands. Malheureusement, ils vont donner sur la droite du général Legrand et sont pris, à cause de leurs habits bleus, pour des Prussiens. Nos cavaliers égorgent les lanciers, sans les entendre, sans les reconnaître, malgré leurs cris d'angoisse : "Ne frappez pas, nous sommes français".
Témoins de cette méprise, les uhlans bousculent un escadron de lanciers. Les dragons de l'impératrice se jettent à leur tour sur le flanc des uhlans. La mêlée devient indescriptible. Au milieu de cette poussière qui aveugle, les sabres frappent sans relâche, tuent presque au hasard. Dans cette masse confuse qui tourbillonne et s'entremêle, on ne peut distinguer les Français des Prussiens. Les hussards, les cuirassiers allemands, font de larges trouées. Nos infatigables chasseurs d'Afrique se précipitent au plus épais de la mêlée. 8000 cavaliers s'entre-tuent au milieu des hourras et du choc formidable du fer."

Les soldats ne se distinguaient donc pas les uns des autres puisque tous étaient vêtus de bleu!

Clément d'Astanières est grièvement blessé dans cette bataille au corps à corps. Frappé plusieurs fois par des coups de sabre, il tombe, la tête fracassée. Lorsqu'il est ramassé par les Prussiens et fait prisonnier, à demi-mort, il sera porté disparu pour l'armée française.
 Il reviendra pourtant à la vie, miraculeusement. Après 7 mois de captivité il est rapatrié le 18 mars 1871. Il attribue au scapulaire, qu'il portait sur le coeur à la charge de Gravelotte, le fait qu'il est encore vivant. Dès lors, ce sera l'occasion de le montrer à tout visiteur sous l'appellation: "Scapulaire retiré à l'hôpital de Pont à Mousson après la pansement de mes blessures reçues à la charge de Gravelotte (Mars la Tour), le 16.08.1870". Il expose aussi une pipe qu'il a étiquetée: « Pipe donnée par le docteur Hiegel, de Mars la Tour et qui m'a servie pendant que, assis sur un fauteuil dans la rue, devant sa maison, il faisait à 6 heures, le soir même de la bataille, un pansement à mes blessures. »

 Le comte montrera aussi, comme curiosité, une esquille d'os sortie de sa blessure à la tête qu'il conservera précieusement dans un autre petit coffret.

Il est convalescent mais encore mal rétabli, handicapé par ses blessures, quand il s'annonce au château de Pange. Il ressemble, dira t'on, à un fantôme. Même sa fiancée Mathilde, très émue et qui a jusque là porté son deuil, aura du mal à le reconnaître et sa santé restera compromise.

Le mariage ne sera pourtant pas encore pour l'immédiat car Clément d'Astanières est appelé à reprendre une nouvelle fois du service armé. La guerre civile de "la Commune" à Paris doit être réprimée, il s'y emploie et il recevra à cette occasion la Croix de la légion d'honneur.
 Enfin, il peut convoler en justes noces le 27 juin 1871. C'est donc un jeune capitaine fraîchement décoré que Mathilde de Pange épouse en grandes pompes, Le Figaro et d'autres journaux comme Le Gaulois feront le compte rendu de ce mariage mondain.
 Cependant la famille de Pange s'inquiète de découvrir un jeune homme bizarre. Les coups de sabre à la tête ont laissé, dit-on, des séquelles fâcheuses. Le comte d'Astanières se montre vite un gendre étonnant, voire détonnant. La nièce de Mathilde écrira : "Il apporte dans la famille une note de bizarrerie peu conforme à l'étiquette ambiante "
 Ses supérieurs aussi dépeignent: "Un caractère parfois difficile qui a besoin d'être commandé avec tact et ménagement, un officier qui sort de la foule et mérite d'être étudié." Les rapports militaires soulignent aussi son goût pour les "arts d'agrément": la peinture et la sculpture.
 Il restera dans l'armée 5 ans encore, puis, prétextant les séquelles de ses blessures, qui d'ailleurs le gêneront toute sa vie, il se déclare lui-même inapte au service de l'armée et donne sa démission en 1875 pour se consacrer tout entier à la passion artistique qui ne l'a jamais quittée. 

Il est alors déjà élève du sculpteur Clère, au talent un peu rigide, et c'est avec lui que d'Astanières a fait ses premiers travaux connus. Le premier envoi au Salon des Artistes Français, "le Gymnasiarque", date de 1873.
 Clère a exécuté le portrait en bronze de son élève. D'Astanières y est représenté en hussard avec un uniforme à grands brandebourgs que  l'on retrouve sur une photo prise à Saumur.
 Puis il devient l'élève de Jean Falguière, qui n'est pas le premier venu. Professeur à l'école des Beaux Arts et membre de l'Académie, Falguière a, entre autres, participé à l'ornementation de l'Arc de Triomphe de l'Etoile. Dans son atelier on travaille indifféremment tous les matériaux avec le même succès, l'argile, la pierre, le plâtre ou le marbre. C'est une approche qui plaît à d'Astanières.
Le maître et l'élève deviendront une paire d'amis malgré leurs différences : autant Falguière est un personnage très mondain, autant d'Astanières se découvre être un gentleman-farmer décontracté. Il partage son temps entre Paris (il habite au 25 rue Las Cases), et Montiers en Beauvaisis, dans le château offert par son père où il a une exploitation agricole,  un gros élevage de porcs et bovins qu'il présente aux concours agricoles.
 En 1882,d'Astanières, châtelain de Montiers, devient, comme son père et son grand-père,  maire de cette commune. Il agira activement au moment de la construction de la voie ferrée de Paris à St Just en Chaussée.
 C'est à partir de cette époque qu'il va cumuler les diplômes et récompenses pour les concours agricoles et pour ses oeuvres artistiques.
 Au Salon des Artistes Français Clément d'Astanières reçoit des médailles et devient vite hors concours membre du jury. Au salon de 1882, avec « l'Espiègle », sa première médaille d'or lui est remise. "L'Espiègle" entre dans les Collections Nationales et se trouve actuellement au Ministère de l'Industrie.
 Il recevra deux autres médailles pour une étude sur des cordages en fibres d'orties en 1895 et 1896, preuve de son éclectisme..
 Il présente au salon de 1889 un bronze sous le nom d'Acrobate". A l'Exposition Universelle de Paris de 1889, il acquiers une médaille de bronze pour la présentation du "Pécheur à la ligne". Puis il présente un marbre au salon de 1887 "Le Jongleur", un autre au Salon de 1898. Ce dernier, "Le Moine blanc", préfigure déjà le cubisme et obtient une médaille d'honneur à l'Exposition de 1900.
 Si l'on a conservé ses diplômes, on a en revanche perdu la trace de ses médailles,  dérobées lors d'un cambriolage de son atelier à Paris, le 13 mars 1891. "Pendant que j'étais à un sermon contre le socialisme" se plaisait-il à raconter.
 Son passé de militaire lui vaut de nombreuses commandes de soldats et le Tout-Paris lui demande des portraits.
 Il expose à Chicago en 1893, à Moscou en 1791, acquiers de nombreuses récompenses. Son immense production est actuellement largement dispersée dans le monde entier, en Angleterre, en Autriche, en Amérique, comme l'indique Jean Valdeyron en 1931.
 On en retrouve dans des lieux publics ou des collections particulières, à Capbreton, Benesse-Maremne, Buglose, à l'abbaye de Maylis, à Betharram, Bordeaux, Beauvais, Paris, Saubusse, à la Sorbonne, au Lycée Michelet, Jeanson de Sailly, à l'école militaire, au musée de Douai, à la mairie de Niort, au château de Pierrefonds
 Comme il est Paroissien de l'église Sainte Clotilde à Paris, où sa femme est toute dévouée aux bonnes oeuvres,  il est amené à l'orner abondamment. Il a sculpté pour le banc d'oeuvre "La toute puissance suppliante", en pierre, que nous retrouvons en plusieurs exemplaires à Capbreton. Il a aussi réalisé des bas reliefs dont nous avons la réplique sous le porche de l'église de Capbreton, également.

 C'est son frère aîné Albert, qui avait hérité du titre de comte. mais les oeuvres religieuses remarquables, généreusement offertes à l'Eglise, ont attiré l'attention du Pape Léon XIII qui lui décerne le titre de comte héréditaire, mais il n'aura pas d'enfants.  

Il s'évade de Paris et voyage en suivant les bords de la mer pour laquelle il a une attirance particulière. Il a ainsi peint une série d'aquarelles, de la Hollande jusqu'à l'Espagne, et peint aussi des paysages de montagnes au Pays basque. Il est en compagnie d'un jeune garçon Arthur Pierre Gillet, qui, lui sert de modèle depuis l'âge de 16 ans et deviendra son fidèle secrétaire et régisseur. Celui-ci a  pris la suite de son frère Georges, initialement au service de Monsieur le Comte et mort très jeune de la typhoïde.
 Vers 1897, d'Astanières découvre Capbreton. Il aurait été logé alors sur la place de la Mairie, par Madame Loube, qui accueillait des hôtes de passage. Séduit, il partagera désormais son temps entre Capbreton, Paris où il a gardé son atelier et le château de Montiers.
 En 1900,  la mort de Falguière avec lequel il a toujours continué à travailler, marque un grand tournant dans sa vie. Un peu dépressif, épris de solitude, souffrant de rhumatismes, séquelles de ses blessures, il recherche la chaleur et décide de s'installer dans ce désert qu'il a découvert au bord d'une mer sauvage, Capbreton et qui l'a séduit.


 Il vend le château de Montiers et achète une trentaine d' hectares de sables sur un quartier de dunes qu'il baptisera « La Savane ». Il y fait bâtir en 1901 la maison "les Epaves", puis " les gourbets" où il installe une sorte de palombière et une écurie à étage d'où ses chevaux pourront contempler l'Océan.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les  épaves

Peu à peu, il va gagner sur les sables l'installation de sa propriété, avec des cultures diverses, de la vigne ou des plantations des pins, fixant la dune avec des oyats.
L'ornementation intérieure de sa maison "Les Epaves"sera constituée par tout ce que Monsieur le Comte avait pu ramasser sur la plage : vieux filets, flotteurs, galets, bois flottés. Puis s'ajouteront d'autres bâtiments plus classiques construits par l'entreprise Bernadet de Dax. Il y aura ainsi dans la propriété une ferme avec laiterie où Monsieur le  comte fabriquera lui-même son fromage, une autre maison avec atelier: "la Tataya" et la maison du garde. "La Tataya" est une maison où l'on se rend l'été pour les pique-nique, dans un bross tiré par des boeufs, on y amène les paniers, nappe, table et chaises pour profiter du confort.  Ou bien on se dirige vers un wagon de tramway, que Monsieur le Comte a fait revenir du château de Montiers . Un "petit train", wagonnet d'un Decauville part de "la Savane" où est installé l'atelier et ses rails font le tour de la propriété. Monsieur le comte s'y assoit sur un fauteuil d'osier tiré au pas lent des vaches et, les jours de vent, lorsque le vent souffle dans le bon sens, il avance à la voile. Autrement il faut pousser ce wagonnet à main d'homme avec, toujours à portée de main, une pipe bourrée. M. le Comte  se souvient du réconfort qu'une pipe lui apporta lors de son opération à la tête.  jusqu'aux endroits cultivés : vigne et semis de pins qui poussent dès la première dune en bordure de l'Océan, protégées par un système de balises...
 Monsieur le Comte "a toujours son fusil en travers sur ses genoux et, sans fatigue, il peut ainsi tirer les lapins qui abondent dans les dunes. "Pour se protéger en cas d'ondée dans l'exercice de son sport favori, écrit Octave Feuillet, il avait établi plusieurs guérites. L'une était une moitié avant de canot, posée debout sur le sable, l'autre était une immense bouteille en ciment armé, (si grande quel'on peur y remiser le wagonnet), la troisième constituait un immense verre à boire, également en ciment."
 D'Astanières, quoique généreux avec ses proches, passe pour un éternel désargenté parce qu'il réinvestit toujours dans de nouveaux projets. Prudente, Mme la Comtesse a d'ailleurs demandé, dès 1886, une séparation de biens. Elle a ses propres appartements près de la bibliothèque, avec armoires anciennes et beaux meubles.
Elle reçoit assise sur son divan avec une meute de petits cockers. Les trois chiens briards  du comte ont le droit de manger à table où l'on pose leurs assiettes. Les cockers de Madame n'ont pas les mêmes privilèges car Madame désire qu'ils soient "bien élevès".
 Un peu gêné pour payer les travaux de maçonnerie de ses maisons à l'entreprise Bernadet, d'Astanières revendra à la ville de Capbreton un morceau de terrain pour y construire un fronton. Il est stipulé dans l'acte de vente qu'il se réserve, toujours disponible à chaque manifestation, une loge attitrée au "Fronton de la Côte d'Argent".
 Il y sera une figure excentrique, très remarquée à Capbreton. D'autant que, outre ses singularités, les modèles qu'il fait poser nus font jaser dans les chaumières.
 Sa tenue vestimentaire est, elle aussi, peu protocolaire et uniquement inspirée par le souci du confort sans contraintes. Il porte un sombrero de style mexicain, un large sarrau, un pantalon en molleton des Pyrénées, de mauvaises sandales qu'il porte "en groule" (avec les talons tout écrasés). Aussi, lorsque la Comtesse son épouse lui demande de s'habiller un peu pour des invités attendus, il enfile correctement ses sandales, et déclare : "Voilà, vous êtes contente, j'ai mis mon smoking" !.Monsieur le comte est aimable. Si sa porte est toujours ouverte, il n'accepte en revanche, que peu d'invitations. "Je ne sors de Capbreton qu'une fois par an pour aller me confesser, à la veille de Pâques. Ce jour-là je vais à Bayonne, je prends par le bras le premier prêtre que je rencontre. Je lui dis: mon Père, voulez-vous me recevoir en confession? Et je rentre chez moi."
Attitude décontractée  qui enchante Monseigneur l'évêque qui ne manque pas de venir "aux Epaves" prendre des vacances. Ce sera une attraction aussi  pour le futur roi Edouard VII qui fait spécialement pour lui une incursion à Capbreton lors de ses séjours à Biarritz. Quant à l'abbé Gabarra qui a table ouverte, il gourmande son hôte pour que celui-ci couvre au moins la nudité des oeuvres d'une feuille de vigne, par respect pour ses invités. Le grand amusement du comte est de placer une vraie feuille de vigne à leur arrivée ... feuille qui s'envole au premier vent.
 La cuisinière, Rose Labescat suit le rythme de la maison en acceptant la plus grande originalité sur les menus qu'on lui impose. Elle n'a pas son pareil pour accommoder les "gibiers" les plus divers et les plus inattendus qui arrivaient aux cuisines: des lapins souvent, des sangliers parfois, mais aussi, moins classiquement, des oiseaux de mer, voire les cochons d'Inde de la comtesse lorsque celle-ci était partie dans ses terres! Le comte a gardé les habitudes étranges de sa jeunesse! Mais ne nous y trompons pas c'est un gourmet et sa table est toujours bien arrosée de son propre "vin de sable".
Outre le secrétaire de M. le Comte, Pierre Gillet, la maisonnée se compose aussi d'une femme de chambre, Léonie , de son mari Adrien Lahontang, de deux autres domestiques Jeanne Camescasse et Jeanne Bassagaix. Quant au palefrenier, François Goalard, c'est une force de la nature.
 Lorsque Pierre Gillet va se marier avec la Dlle Rose Gentieux, artiste elle aussi,  professeur de piano et organiste, d'Astanières se réjouit de la présence de cette jeune personne, car lui même joue du clairon, du piano et a une belle voix. Mais son régisseur lui tenant maintenant beaucoup moins compagnie, il prend fantaisie à M. le Comte de faire venir du Congo un jeune négrillon de 17 ans, "Amouna", fils de chef de tribu auquel on désire donner une connaissance de l'Europe et qui lui servira de modèle et de domestique. Il a gardé des particularités dissonantes: on entendait parfois, la nuit, un curieux grincement  Pour tenir ses dents tranchantes, il les limait dans le noir et le comte trouvait ce geste inquiétant. Il restera peu de temps, jusqu'à l'âge de 18 ans.
 C'est "Apupula" qui le remplacera. Beaucoup plus jeune, il demandera d'abord très-vite à repartir, inquiet d'être si bien nourri et se demandant à quelle fin on voulait l'engraisser. Lorsqu'il sera rassuré, il suivra son maître en permanence.

Il a fait sensation la première fois qu'on l'a vu croquer et avaler un gros ver blanc juste déterré. Puis on s'habituera aux notes d'exotisme et "Apapula" fera vite partie du décor Capbretonnais. Il y aurait eu aussi, mais peu de temps,  une jeune négrillonne qui posa pour la sculpture "Fleur d'Eau" qui se trouve à la Bibliothèque de Capbreton. "Apupula"repartira pour l'Afrique quelques années plus tard.
On devine que l'atelier de d'Astanières était, à l'image de son propriétaire, un modèle de non-conformisme. L'atelier d'un sculpteur évoque souvent la froideur du marbre. Ici on trouve, presque pèle-mêle, de nombreuses aquarelles  voisinant avec des crânes, des tibias qui servent de modèle et d'aide mémoire aux dessins, des terres cuites, des bronzes.

Des meubles encombrants sont suspendus au plafond et on peut les descendre avec des poulies dans un superbe foutoir.
En considérant la couche de poussière qui recouvre les objets, on comprend que le maître n'autorise personne à passer un dangereux plumeau et pourtant, l' immense cheminée avec un four pour les terres cuites, enfume souvent.

Il est vrai qu'il reste peu de place à un balai maladroit. Dans un coin sont disposés un clairon, un tambour, une grosse caisse, des chiens courants traversent l'atelier. Dans un coin, des grands-duc en cage se disputent des charognes, et c'est Apupula qui est chargé de les approvisionner en rats et souris pris au piège.
C'est peu dire de l'ambiance et des aromes qui s'exhalent de l'atelier.
   Mais son talent faisait tout oublier et que l'on ne savait où porter les yeux, ni ce qu'il fallait admirer en priorité des peintures ou des sculptures car il maniait avec un talent égal le pinceau et le ciseau.
 A l'extérieur, à même la dune et aux carrefours des sentiers, sont disséminées des sculptures de toutes natures, souvent disposées sur des colonnes de parpaings pour qu'elles y prennent la patine du soleil, du sable et des vents salins.
 Les occupations rurales sont nombreuses à "la Savane".

Il faut s'occuper des vignobles, de la laiterie, d'une flottille de barques, des troupeaux, tenir en état les engins de pêche et de chasse. Les aménagements du domaine sont constants car il faut surveiller la fixation de la dune en plantant des oyats
D'Astanières consacre  beaucoup d'énergie à la mise en valeur de son domaine sur un sol ingrat. Il utilise pour cela les revenus de ses sculptures ou bien est-ce son domaine qui lui permet de couvrir les frais d'un art assez coûteux ? Qui le sait?
 Il des habitudes de piété et assiste à l'office chaque semaine et s'y rend avec son épouse, en voiture tonneau tirée par une jument. Pour mettre à l'abri son attelage pendant le temps de la messe, il a fait bâtir non loin de l'église des écuries à étage, fermées à clé. Plus tard il aura une voiture automobile. Ce bâtiment formant une avancée dangereuse sur l'angle de la route de Benesse à Capbreton  sera la cause de plusieurs accidents. Tout sera démoli après sa mort.
Dans la collection de récompenses de cet homme d'exception se détache une médaille de sauvetage en mer. A 71 ans, le comte d'Astanières sauve, en 1912, un baigneur en difficulté sur la plage de Capbreton.
C'était un homme bon et généreux mais pas toujours en harmonie avec ses proches voisins. Lorsqu'il arriva que ceux-ci lâchent leurs chiens courants dans la propriété du comte, il y a eu plus d'une balle assassine sur les bêtes qui dérangeaient les lapins de Monsieur le comte.
 Madame d'Astanières est, elle aussi, assez originale. N'ayant pas d'enfants, elle reporte toute son attention sur les animaux de la maisonnée, sur les oeuvres pieuses, et sur les chiens errants ou blessés...
Au début de leur mariage, d'Astanières avait fait de sa jeune épouse un portrait dont on a pu écrire "elle a dans sa grâce juvénile le rayonnement d'intelligence et de souriante bonté où se révèle le beauté d'une âme".
Lorsque sa nièce par alliance, Mme de Pange née Pauline de Broglie, en parle dans le tome trois de ses mémoires ("Comment j'ai vu 1900"), elle rapporte sa première rencontre : "Elle a été jolie, me dit-on. Il n'en reste rien. A moitié aveugle et boiteuse, elle est, comme toutes ses contemporaines vieille avant l'âge. On lui donnerait quatre vingts ans, elle en a à peine soixante. "

C'est vrai qu'ayant perdu un oeil, elle ne sortait qu'enveloppée de voiles et nombre de Capbretonnais qui assistaient à la messe avec elle  n'ont jamais vu son visage.
 Le comte d'Astanières mourra à Capbreton le 30.01.1918, à 77 ans, à la suite d'un refroidissement contracté à la chasse aux canards.
Il sera inhumé, selon sa volonté, au cimetière de Capbreton et sera encore cité au catalogue des Artistes Français en 1925 .
Après sa mort, son épouse fait don de nombreuses oeuvres à l'église de Capbreton.

Eglise qui mérite une mention spéciale puisque d'Astanières a contribué à en faire une curiosité originale et sans doute unique :
- Il a ciselé une centaine de plaques en terre cuite (178 exactement) qui ornent sur trois rangs les murs de la nef et y a inscrit des milliers de  noms, ceux des Capbretonnais enterrés dans l'église depuis 1533 jusqu'en 1752. C'est à coup sûr sa dernière oeuvre de longue haleine qui ne sera stoppée que par sa mort. Il avait commencé ce travail en 1912. Après lui c'est Steetrup, un danois, qui prendra la relève et terminera la collection sur des plaquettes de bois.
- De magnifiques bas-reliefs, répliques de celles de la chapelle des catéchismes, près de l'église Sainte Clothilde de Paris,  ont été placés sur le mur d'entrée du porche. Comme jusque là il trainaient à même le sol , l'un d'eux s'est brisé. C'ést Saint Tarcitius, patron des enfants de choeur qui n'a pas résisté à une bousculade. 
- Le "Jésus enfant allant vers son père" était une des oeuvres préférée du sculpteur. L'artiste, qui disséminait ses oeuvres dans les dunes, avait choisi pour celui là le plus joli bosquet des pins qu'il avait fait planter.

Cette statue a été dérobée dans l'église de Capbreton et les capbretonnais auront une plaie ouverte tant qu'il n'aura pas été retrouvé.
- La Vierge "Omnipotentia Supplex"a toute une histoire. Je vais l'emprunter à Raymond de Laborde, dans son livre "sur la côte d'argent", paru en 1911, du vivant de d'Astanières:
"Apprenez qu'un matin, M. le curé (C'était l'abbé Gabarra), ayant annoncé pour l'après-midi, au comte d'Astanières, la visite de ses chanteuses, toutes enfants de Marie, le comte ... avait demandé à sa cuisinière une collation succulente ... c'est un pillage de fruit et de gâteaux. Le champagne pétille dans les coupes...mais voilà que peu à peu la maison se vide et M. d'Astanières se retrouve en tête à tête avec M. le curé. Le maître sort à son tour et que voit-il, grand Dieu ? Il voit les enfants de Marie qui fuient, emportant la vierge enlevée d'une niche construite pour elle, sur la façade de la maison. Il se précipite, veut reprendre son bien, les chanteuses déposent leur précieux fardeau et tombant à genoux, les mains jointes, chantent comme elles n'ont jamais chanté. Alors le maître, ému, dit à ces demoiselles : Soit, vous aurez ma vierge. Elle restera votre église en souvenir de moi. Il faut bien que je pardonne puisque, entre artistes, on peut tout se permettre." Et l'artiste amena effectivement la statue à l'église avec, sur le socle, une inscription ressemblant un peu à des hiéroglyphes  "Volé par les chanteuses de Capbreton. L'artiste reconnaissant."


Le 23 septembre 1930, la comtesse Mathilde d'Astanières, née Thomas, comtesse de Pange, va décéder au château de Pange à l'âge de 85 ans et elle repose aussi au cimetière de Capbreton. Leur tombe commune est surmontée d'une vierge "Omnipotentia Supplex" .

 Ses maisons ne lui survivront pas longtemps, gravement endommagées par le raz de marée de 1938, puis par les Allemands en 1944, au moment de la libération.
Le père Gillet de Betharram raconte: "Les Allemands arrivés en 1940 s'en sont donné à coeur joie de casser, mutiler, piller. Les bronzes sont partis pour une destination encore inconnue. Quelques restes ont cependant pu, non sans mal, être soustraits au vandalisme de l'occupant, notamment l'Enfant-Jésus et le buste en bronze que Falguière avait représenté en officier de cavalerie. Une nuit de 1940-41, une charrette tirée par un âne put s'infiltrer sans attirer l'attention et les bronzes furent transportés dans une cachette sûre qui lui permit d'échapper à la razzia des sbires de Goering."

C'est en 1977 que disparaîtront les derniers vestiges des "Epaves", la maison de Monsieur le Comte. Ce personnage pittoresque qui s'amusait comme un gosse lorsque des visiteurs abusés le prenaient pour le gardien des chèvres.


Anne-Marie Bellenguez-Darnet

28 juin 2005

 

 

 

 

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