« DÉPART VERS LE RÊVE, RETOUR DE L'ENFER »

Voyages maritimes au temps
de la marine à voile

 

 

Je voudrais citer André Suarès en introduction : « La mer modèle les moeurs comme elle fait les rivages. Tous les peuples marins ont du caprice, sinon de la folie, dans l'âme ».

Maintenant essayons d'imaginer, il y a bien longtemps, un fleuve bohème et infidèle, l'Adour, qui, à Capbreton, traversait des dunes mouvantes que le vent modelait d'un jour à l'autre à sa fantaisie, et venait se jeter sur des côtes battues par le ressac d'un Océan capricieux.
Si l'adage est vrai, combien l'imagination de nos aïeuls Capbretonnais devait déjà être vagabonde et fantasque. « La mer modèle les moeurs comme elle fait les rivages. Tous les peuples marins ont du caprice, sinon de la folie, dans l'âme »?

Ici il s'agit de l'Océan, que de tout temps, on a pourtant appelé « la Mer », une mer nourricière, généreuse de ses richesses.
Très tôt, les anciens habitants de ce qui devint Capbreton, étaient des marins aguerris bravant les dangers pour rapporter à terre la multitude de poissons dont regorgeait l'océan.
Ainsi se sont forgées des générations de marins formés dès leur plus jeune âge.
Mais l'enfant qui apprenait de son père l'art de la pêche savait qu'on ne s'aventure jamais loin, et surtout pas à proximité des étonnantes créatures marines dont, depuis le littoral, on peut observer les mouvements.
Les baleines, terme qui recouvre tout ce que l'on pouvait compter de cétacés, et qui étaient aussi bien des orques ou des cachalots, ces « baleines » peuplaient la Mer. Et l'on devait rester à une distance respectueuse de ces monstres marins si l'on tenait à la vie.
En effet, si nos pêcheurs montraient beaucoup de courage en affrontant les éléments, il fallut attendre des siècles pour qu'ils acquièrent des moyens techniques permettant d'affronter, en pleine mer, d'aussi grandioses créatures. Rappelons qu'une baleine dite de Biscaye, mesurait de 15 à 18 mètres. Il était, bien sur, impensable de s'en approcher avec nos barques de pêche. Les plus hardis qui avaient essayé de se hasarder à harponner une baleine, avaient tous vu leur navire fracassé par la queue de la baleine et beaucoup n'en étaient pas revenus.
Nous ne possédions pas les moyens techniques pour affronter, dans un univers hostile, des créatures aussi gigantesques
En revanche c'était un don des Dieux lorsqu'un cétacé s'échouait sur le littoral, comme d'ailleurs chaque fois que l'on pouvait recueillir sur le sable des épaves de navires ou une partie d'une cargaison. Cela donnait lieu à une rude effervescence.
Et d'autant plus lorsqu'une baleine s'échouait, car c'est alors toute la population qui s'agite puisque cela représente de la nourriture pour tous. Et puis dans la baleine, comme dans le cochon, tout est bon ! la langue, le lard, la graisse dans laquelle on peut faire cuire le lard (et c'est peut être l'origine de notre confit ?). Jusqu'au squelette du cétacé qui peut servir à la construction des habitations.
Donc chacun s'affaire pour dépecer et couper le lard, surtout par temps chaud, car très vite l'odeur exhalée couvre totalement celle des ?illets des dunes ou celle des immortelles. Lorsque le travail est terminé, les déchets jetés à la mer attirent les petits poissons et c'est encore la promesse de pêches miraculeuses dans les filets.
Puis, petit à petit on voit les habitants de Capbreton améliorer leurs techniques de navigation, de construction navale, et leurs techniques de pèche. On commence à réussir la chasse à la baleine en mer. Les premières mentions de cette chasse dans le Golfe de Gascogne remontent autour de l'an mille.
Que s'est-il passé ? Eh bien, on se souvient de l'étude de M Joël Supery : les Vikings sont arrivés à Capbreton aux alentours de cette époque. Ce sont les rois des mers, ils possèdent des techniques de construction inconnues, des techniques de pêche éprouvées.
Après des relations plus qu'orageuses au départ avec la horde barbare et cornue, celle-ci va s'implanter chez nous, à notre embouchure, protégée par cette fosse sous marine que nous appelons le « Gouf » et que l'on appela « Boucau de Diou ». Les Vikings restèrent plus d'une centaine d'années dans ce lieu privilégié. En fait, il y a dans notre histoire un « trou noir historique » de près de 142 années.
Et c'est là que toute la vie des Capbretonnais semble changer.
Comme envahis et envahisseurs, ont pour seul horizon la mer, les Vikings vont transmettre une partie de leur expérience et de leurs connaissances dans l'art de la navigation. Les bateaux seront construits plus grands, plus solides et, à leur exemple, on va concevoir que le terrible Océan puisse être affronté pour traquer et harponner la terrible baleine.
Et dès lors, Capbretonnais et « Basques », que l'on englobait dans le même qualificatif, vont se tailler une réputation d'exploreurs des mers. Ils ont continué à se montrer pleins de hardiesse, d'audace, de bravoure, et Dieu sait qu'il en fallait.
Et ils étaient portés par le rêve de domination de ces énormes espèces marines en pleine mer, car elle représentait la fortune assurée. D'autant que, pour l'Eglise, tous les cétacés sont considérés comme des poissons et peuvent être consommés pendant les jours maigres. Et il y a 40 jours de carême, la veille des fêtes religieuses, le vendredi et le samedi. On a compté, suivant les papes, plus de 100 à 140 jours par an d'abstinence de viande, et notre économie côtière prend donc une énorme ampleur. A chaque départ l'opportunité d'une vie nouvelle se dessine et chaque départ est chargé d'espoir et de rêves de fortune.
Malgré le péril incroyable, la lutte contre les éléments et les monstres marins devient, dès lors, presque un sport, mais combien excitant !
Les efforts que doivent fournit les rameurs pour franchir les vagues déferlantes et approcher des baleines sont terribles. Quant aux harponneurs, ils sont choisis, bien sûr, parmi les plus hardis et les plus expérimentés des matelots, mais que leur travail est pénible et dangereux. Il leur faut en même temps audace et prudence.
Rendus furieux par la blessure du harpon mal placé, les créatures marines prennent leur course et entraînent tout derrière elle, souvent elles lancent l'embarcation en l'air et les chaloupes n'y résistent pas. Sur la dune où l'on suit toutes les péripéties, on espère toujours que quelques marins seront rejetés vivants au rivage au milieu de l'écume et de flots de sang.

 
Mais comme « l'échec est le fondement de la réussite », avec l'observation et l'expérience, les marins qui ont été forgés ainsi sont devenus hors pair. Et cette chasse va peu à peu devenir monnaie courante.
Pourtant rien n'est éternel. La baleine sera tellement traquée qu'elle va se raréfier vers la fin du XIVème siècle et elle va s'éloigner de plus en plus de ses chasseurs.
Alors vont s'ouvrir des horizons inconnus à nos marins. En effet il ne leur reste plus maintenant qu'à suivre la baleine dans ses pérégrinations avec des bateaux de plus en plus lourds.
Seulement, jusqu'à la fin du XVIIIème siècle l'une des difficultés majeures de tous les navigateurs sera de trouver le chemin sur la mer.
Beaucoup d'erreurs seront fatales et il est plus raisonnable de suivre les courants. C'est d'ailleurs ce que fait la baleine qui remonte vers le Nord. A sa poursuite, nos marins vont découvrir les mers polaires, et après des étapes en Norvège, en Islande, au Groenland ils trouveront un point de chute au large de Terre-Neuve dans une île qu'ils appelleront Capbreton, du nom de leur port d'attache. La tradition rapporte que cet abordage sur les rivages des Terres Nouvelles se fit cent ans avant que Christophe Colomb ne découvre officiellement ce qui deviendra plus tard l'Amérique.
Cette première découverte était le fruit d'expéditions discrètes et non sponsorisées. Et les pêcheurs gardaient le secret des routes utilisées. Il faudrait être naïf pour en rechercher des feuilles de route.
A leur retour ces hommes rudes et qui sentaient la marée, le goudron le tabac et que sais-je encore, qui avaient vécu des heures terribles, ne voulant pas effrayer les femmes et les enfants, oubliaient de détailler leur vie rude dans les mers froides et dangereuses et cette terrible menace de mort permanente que les terriens n'imaginent même pas.
A leur retour, ces rescapés vont conter des histoires fantastiques qui vont nourrir les imaginations et émerveiller l'auditoire. Les nouveaux découvreurs font rêver sur des images de milliers de baleines qui soufflent. Ils parlent de chasses aux grands cachalots blancs dont le crâne peut contenir jusqu'à 5 tonnes de « blanc de baleine », pour produire les plus belles chandelles, et amener tant de richesse. Et puis la baleine blanche qu'ils ont découverte là bas et qui peut atteindre jusqu'à 35 mètres de long avec une langue de huit mètres de longueur sur quatre, (c'est du moins ce qu'écrit Paul Mégnin, référence difficilement discutable puisqu'elle émane du spécialiste de la chasse, du gibier et de la faune en général).
Le voyage jusqu'aux bancs de Terre-Neuve est long et nos registres d'état civil nous citent une kyrielle de Capbretonnais qui ne sont jamais revenus du voyage
Par exemple en 1649 Saubat de Casaunau, allant à Terreneufve a péri avec son équipage et ce sont 20 marins capbretonnais que l'on va pleurer.
Et François Lafargue, Bernard d'Espagne, Etienne de Balanquer, Jean Mongruer, retournant de Terreneuve, etc.
1676 Etienne de Balanquer, décédé allant à Terre-Neuve 1674 Jean de Pilon 14 ans mort sur mer allant à Terre-Neuve, ?
Et malgré la succession des désastres, le rêve sera toujours là.
Puis le rythme de la vie va se calquer sur celui des campagnes de pêche. Avec d'autant plus d'intérêt que l'on ramène des contrées froides, un poisson jusque là inconnu chez nous : la morue. On a appris auprès des indiens autochtones de l'Ile de Capbreton, les Micmacs, la manière de la conserver salée et elle supporte les longs voyages.
Chaque année ce sont de plus en plus de campagnes de pêcheurs morutiers et baleiniers, souvent armés pour une pêche mixte qui partent de Capbreton et de Bayonne en direction de Terre-Neuve ou de l'Islande pour de longues campagnes.
Et dès les premières décennies du XVème siècle, c'est la pêche à la morue qui devient prépondérante
Les armateurs et les capitaines n'ont, semble-t'il, pas trop de difficulté à recruter des équipages. Il s'agit en grande majorité de jeunes garçons ruraux, qui veulent un avenir meilleur et qui ont, en général, douze ou treize ans.
A l'origine des rafles étaient organisées dans les villages environnants.
On trouve dans les Registres Français de Bayonne le texte suivant :« Il est proposé aux capitaines de Bayonne, d'envoyer au voyage de Terre-Neufve, les jeunes enfans mendians et courant par les rues à demander l'aumône et, par ce moyen de les tirer de ladite oisiveté et bélitrerie. »
A l'entrée de l'hiver, les patrons de morutiers feront le tour des auberges à la recherche de jeunes paysans
L'accord se conclue généralement, devant un pot de piquette avec, en prime, un petit acompte en espèces sur le montant des pêches à venir. Plus un ciré, une couverture de laine et une paillasse. Et comme le futur matelot ne savait généralement ni lire ni écrire, le contrat était sommaire mais on lui promettait beaucoup d'argent et des pêches miraculeuses.
Le pauvre gosse enrôlé, entouré de gamins de son âge va partir en chantant car c'est ainsi, bien souvent, que se font les préparatifs de l'embarquement. Il pense avoir la vie bien plus douce sur un morutier que sur un baleinier puisqu'une morue ça ne se défend pas et ça n'attaque pas le pêcheur.
C'est à bord seulement qu'il découvrira l'enfer de la « grande pêche » pénible et dangereuse et il comprendra pourquoi tant de marins n'en sont jamais revenus.
D'abord, il découvre les canons. En effet, l'insécurité des mers oblige tout morutier, et tout baleinier à s'armer de canons pour se défendre des pirates. Puis il y a le mal de mer des premières houles, les coups de mer, les tempêtes, les rafales de vent encore plus près du qui s'engouffrent dans les oreilles, qui font crisser les cordages et résonner les haubans.


Ii découvre les icebergs, les chutes par dessus bord en arrimant les voiles, etc. C'est un très dur apprentissage et il a tôt fait d'apprendre la discipline à coup de bottes dans le dos.
Et pourtant il va continuer à chanter, des chansons à virer, des chansons à hisser ; quant il s'agit de hisser les voiles on s'aperçoit qu'elles sont lourdes et qu'il y en a beaucoup ?
Puis il arrive enfin sur place et on l'embarque sur une petite chaloupe, comme celles avec lesquelles on harponne la baleine. On sait que si la pêche est bonne, le salaire est bon, si la pêche est mauvaise, on gagne très peu d'argent. On est payé au rendement et les conditions de vie seront terribles. Il faut du courage et il en a.
Lorsque les chaloupes reviennent au voilier, chargées de morues, il arrive qu'un épais brouillard empêche de retrouver le navire, et l'aventure est terminée. Pour d'autres, un poids trop important de la pêche fait couler la petite embarcation.
Puis c'est l'accostage du voilier. Il faut alors décharger à un rythme effrayant, piquer les morues, les jeter dans le bateau, puis, à la même cadence on ira étêter le poisson et le préparer. Le travail est non-stop, de la pointe du jour à la tombée de la nuit. C'est infernal.
La seule journée de repos à laquelle on a droit dans l'année, c'est le jour de la fête de la Vierge, le 15 août. Comme on comprend combien la Piéta du XVème siècle que l'on admire dans notre église, a pu être vénérée par tous nos marins.
Quant à la vie à bord, en dehors du travail on a juste le temps de manger et de dormir. La nourriture est monotone : rata de têtes de morues, amélioré de haricots, rata de têtes de morues, amélioré de pois ou autres légumes secs et dans lequel on trempe des biscuits. L'eau est elle-même, on s'en doute, de qualité douteuse.
En dépit des souffrances, malgré les successions de désastres, chacun rêve de fortune et la ruée vers la morue, s'amplifie.
Après toutes ces épreuves, c'est parfois en longeant le littoral, presque en vue du port, que l'on peut être encore victime d'un naufrage.
Et cependant des bateaux de plus en plus gros qui prennent la mer. Capbreton est dès lors connu sous le nom de « ville aux cents capitaines » et cela dura longtemps encore après le détournement de l'Adour en faveur de Bayonne en 1578. Une prospérité due aux producteurs de capiteux vins de sable, aux produits de la forêt environnante (liège, résine, poteaux et planches de pin ?) aux pêcheurs, aux négociants qui, grâce à la morue séchée, obtenaient une monnaie d'échange. La cargaison de morue sèche est ensuite livrée dans les ports du sud de la France ou en Espagne.
Sur un morutier, les soins qui priment sur tous les autres, sont ceux que l'on apporte à la morue pour son traitement. Et ce qui compte le moins sur ce même navire c'est l'hygiène de l'équipage et elle est déplorable.
Le poste d'équipage est en même temps dortoir, réfectoire, fumoir où chacun entasse ses hardes aux dires de tous, il est d'une saleté innommable car on n'a pas le temps matériel d'y faire du ménage et il s'en dégage mille relents nauséabonds
La santé des hommes d'équipage s'en ressent, bien sûr, ainsi que leur moral.
Pendant longtemps la notion d'hygiène et de contagion est mal perçue. Par exemple, en1589 la peste est à Capbreton. Les Bayonnais interdisent théoriquement l'entrée de leur ville, mais des marins engagés partiront cependant en campagne de pêche à Terre-Neuve. Et la maladie continue ses ravages.
C'est à une autre maladie inconnue et abominable que le jeune embarqué va, au bout de quelques semaines, être confronté. Cette maladie, le scorbut, apparaît seulement lors des voyages au long cours. Nous savons maintenant que le marin privé de légumes et de fruits est en manque de vitamines. Pendant trois siècles, le scorbut va tuer, disent les statistiques, plus de matelots que la tuberculose, la malaria, la fièvre jaune, la syphilis et même les guerres anglo-franco-espagnoles réunies. Le malade présente des lésions innombrables et spectaculaires, une odeur fétide, des oedèmes, des atteintes des gencives avec les dents qui tombent, des escarres, des hémorragies, et j'en passe, jusqu'à la mort.
Or l'explication des médecins de l'époque est que ce fléau est dû soit à l'air marin, ou à l'humidité du bateau, aux odeurs, ou au sel servant à conserver les poissons. La preuve en est, disent-ils, que lorsqu'on fait escale, la maladie régresse. Et pour cause puisque la nourriture devient variée avec des produits frais.
Et pourtant, déjà à l'époque de Christophe Colomb, on racontait que des marins malades du scorbut furent abandonnés sur une île des Caraïbes. Ils survécurent en mangeant des fruits et quand plus tard, ils furent recueillis par un bateau portugais, leurs sauveteurs furent si étonnés de cette guérison miraculeuse qu'ils donnèrent à l'île, le nom de Curaçao, c'est-à-dire " Guérison ".
Mais en 1779, encore, le scorbut décime l'équipage de d'Orvilliers, un compagnon du chevalier de Borda.
« Bougainville, lui aussi un ami du chevalier de Borda, se trouvant à cours de vivres alors qu'il faisait le tour du monde. Bouganville fit manger une grande quantité de rats à ses hommes, ces rats qui grouillaient dans le navire et avaient tout dévoré. Or une particularité très étonnante du rat est qu'il fixe dans son corps la vitamine C. Et donc, cette consommation intensive de rats leur a sauvé la vie et a permis le succès du voyage.
Et puis il y avait aussi cette maladie dont personne ne veut revendiquer la paternité, que les Français appellent le Mal de Naples, que les autres appellent le mal gaulois. Et elle pouvait mettre à mal tous les matelots d'un même navire. C'est ce que l'on trouve dans le rapport d'un capitaine de navire anglais à son armateur. Il lui explique le mal arrivé à son équipage et il en semble d'autant plus choqué que même le petit mousse de quatorze ans a été atteint !
Cette maladie de Cupidon : la syphilis a dû être ramenée en France par les marins de Christophe Colomb
C'est un prêté pour un rendu ! De nombreux Indiens sont morts à cause des microbes et des virus européens exportés en Amérique. Ceux-ci disaient « Partout où l'Homme Blanc passe, la mort suit de près ».
Et les commerces à longues distances continuent de s'organiser sur toute la planète Les échanges commerciaux se multiplient. .
On pourra raconter son bizutage au passage de l'Equateur, comme, plus tard celui du doublage du cap Horn, le cap des tempêtes.

Le commerce de la pelleterie s'instaure avec le Canada, le castor américain devient très à la mode.

 


 Notre ville peuplée de marins, de négociants et d'armateurs tire donc sa prospérité et sa richesse des pêches lointaines (morue et baleine de Terre-Neuve, touil des côtes africaines) et surtout du commerce florissant vers l'Espagne, le Portugal, les Flandres ou la Hollande de ses réputés et capiteux vins de sable et des produits de la forêt environnante (liège, poix, résine, planches de pin).
Mais en 1578, après de gigantesques travaux, l'ingénieur Louis de Foix a bien détourné l'Adour au "Boucau Neuf". Cet, évènement a entraîné la perte irrémédiable de l'embouchure de Capbreton, mais elle se fit au cours du temps et si nos navigateurs se sont déplacés sur Bayonne pour leur travail, les familles de nos marins sont souvent indistinctement de Bayonne ou de Capbreton et ils sillonnent toutes les mers..
Nous trouvons en 1674 Sabat Doroc, mort sur un vaisseau allant aux Indes et beaucoup d'autres encore..
Puis ce sont les produits antillais, surtout le sucre et le café, qui sont très recherchés et associés à la colonisation.
Et là c'est une autre aventure.
Prenons l'exemple de la Martinique : au début du XVIIème siècle, il n'y a pas de noirs à la Martinique, seulement des colons épris d'aventure qui veulent s'enrichir par la culture du coton, des épices, de l'indigo et du tabac.
C'est lorsqu'on y amène quelques plants de canne sucre en 1639, plants qui prospèrent si facilement qu'il faudra de plus en plus de main d'?uvre pour permettre d'exploiter sur une plus grande échelle la canne à sucre, et toutes les autres cultures.
On se souvient de la communication qu'a faite M.Jean Lartigue dans le cadre de l'association « Cote Sud mémoire vive », sur un Capbretonnais négrier à la Guadeloupe « Dominique Murat ». L'attrait de nouvelles richesses fascine les navigateurs.
Quant à nos futurs marins, il faut savoir qu'ils s'engageaient sur un bateau un peu par hasard.
Un petit mousse engagé sur un voilier en direction des Antilles va rêver du « voyage triangulaire » qu'on lui propose. Regagner des îles paradisiaques puis aboutir au Nouveau Monde, l'Amérique. C'est inespéré.
Avec entrain il charge les armes, l'alcool, les tissus, la pacotille, que l'on échangera en Afrique contre du « bois d'ébène » à transporter aux Iles. Si le navire arrive à amasser beaucoup de denrées tropicales, ils auront tous un petit supplément. Cela ressemble fort à un voyage d'agrément.
Les armateurs sont, au départ, prêts à certaines largesses. Sur le papier les calculs leurs permettent un placement alléchant au rendement de 3 à 400%...
C'est seulement pendant la traversée que notre mousse découvre la signification du « bois d'ébène » transporté à la dernière étape, terme pudique pour parler d'une déportation de noirs amenés en esclavage.
Au cours de cette expédition cruelle le moral des hommes se détériore il y aura souvent des mutineries de l'équipage et énormément de désertion avec des conséquences graves pour les familles des déserteurs qui étaient poursuivies.
C'est probablement pour cette raison que le salaire est versé en 2 fois. La moitié au départ et le reste au port de débarquement.

Et si l'on quitte le bateau pour un navire marchand, le calme ne sera pas non plus de la partie
On y trouve des mutineries toujours, des naufrages, on risque fort être victime des pirates et l'on peut, soi-même devenir un esclave.
En 1653, M. Vincent de PAUL paye la rançon de quatre capbretonnais aux mains des pirates d'Alger Il écrit le 17.10.1653 pour que soient délivrés BEAUREGARD, DESENE, CAMPAN et DOUSLIEUX.
Le 6.10.1662 Une déclaration des R.P.Michel AUBRY ET PIERRE RICAUDON (religieux N.Dame de la Merci à Bordeaux précise qu'ils ont racheté à Louis SIQUART, chancelier du Consulat d'ALGER, Vidal DESCLAUX, esclave de Capbreton, pour 39 piastres 1/2.( Bull.Sté SLA Bayonne. 1840 p.214).
1676 Etienne BALANQUER, "28 ans, esclave à Tripoly";
1679 Etienne BATAILLER, "13 ans, esclave à Maroc"; Joseph DANGOU, "mort à Marroque en Barbarie".
Pirates, nous l'étions nous-même à l'occasion. les pirates et les corsaires sont aussi vieux que le commerce, et très intimement liés au trafic maritime La course permet seulement d'attaquer et de piller les navires ennemis au nom du roi de France et non pour son compte personnel comme le font les pirates.
Mais, la nature humaine étant ce qu'elle, et le roi désargenté étant peu généreux, il arrivait que pillages et ventes frauduleuses de cargaisons entières soit faites sans publicité.
(D'après Pierre Berthomme, dans une étude pour l'université d'Ottawa.)
Un chroniqueur de Gênes racontait déjà en 1304: ..."des gens du golfe de Gascogne (c'était nous),sont passés par le détroit (de Gibraltar) avec des navires appelés coques et ils pillèrent nos vaisseaux en causant des dégâts".
Le plus célèbre de nos pirates Menjonyn de Lacabane avait 45 ans de navigation lorsqu'il se retire à Capbreton en 1552 avec une lettre de rémission du Roi, six mois après son arrestation par l'Amirauté. Il avait en effet acheté à son compte un canon à Bordeaux et armé un navire flibuster avec lequel il a multiplié les attaques et les pillages. Le Roi lui pardonna mais ne lui donna plus de lettre de course.
Ne faisions nous pas déjà un travail de pirates lorsque, pour attirer un bateau vers notre rivage nous faisions passer sur la dune un couple de b?ufs portant entre les cornes un brûlot, pour faire croire qu'il s'agissait d'une côte habitée, avec l'espoir de le voir s'échouer ou se briser et pouvoir le piller ensuite.
Quoiqu'il en soit, le commerce en temps de paix est florissant. Mais, lorsque nous sommes en guerre avec l'Espagne, le Portugal, l'Angleterre ou les Pays-Bas ?
Alors, ces guerres perturbent totalement les carrières des marins. Les bateaux de commerce ou de pêche se transforment en navires corsaires avec des lettres de course, au service du Roi. Les boulets pleuvent, mais on rêve de prises qui apporteront la gloire.
La fortune dont on rêve était très peu souvent au rendez-vous. Au mieux on ramenait un perroquet ou des graines de palmiers ou un coquillage »bénitier », comme nous en avons dans l'église qui attestaient que les voyages dont on revenait étaient chargés d'exotisme
Un des bateaux corsaire les plus renommés de Capbreton fut le " Constant »  qui portait 24 canons et 350 hommes.
Et nos marins payent leur tribut :
1668 Minjoulet St Martin, tué d'un coup de canon
1680 Bernard d'Espagnet, tué d'un coup de canon sur la frégate « l'Amazone » commandée par Bertrand de Cabarrus, capitaine, dans un combat contre un navire hollandais.
1690 Alexandre de Balanqué tué d'un coup de canon en se défendant contre un corsaire espagnol qui l'attaqua à la hauteur de Biarritz. Il revenait de Terre-Neuve. Etc.
Et gare si l'on tombe prisonnier aux mains des Anglais et qu'on se retrouve entassé avec des milliers d'hommes sur un de ces fameux "pontons" anglais, de sinistre mémoire.
Un lieutenant au 45e régiment d'infanterie de ligne, rescapé de cette détntion écrit dans ses Mémoires : « les corps décharnés, les figures hâves, les esprits affaiblis, les âmes à demi éteintes de ceux qui , après cinq, sept, neuf années, eurent le bonheur tardif de revoir leur patrie, ont assez montré à leurs compatriotes quels horribles tourments ils avaient subis."
Dans cet enfer vont vivre et mourir des Capbretonnais : Pierre de Laparade en 1688, Jean de Lagaillardie en 1704 et une dizaine de nos compatriotes en 1748
Cette guerre de course n'était qu'un expédient mais aussi un complément indispensable à la Royale, corps prestigieux, bien codifié, dont la discipline et la valeur militaire devint un exemple pour tous. Les autres pays devant compter avec la puissance navale de la France.
Malheureusement une belle marine coûte cher et c'est pour cela que l'on a vu arriver en lice nos corsaires, au nom du Roi, la Royale ne suffisant plus aux besoins pendant les conflits.
Puis ce fut la Révolution de 1789 qui va désorganiser complètement la marine, privée de ses officiers expérimentés, la plupart nobles, qui ont émigré.
Et l'on déserte de plus en plus. Or un déserteur était condamné à la course de bouline
Cette peine consiste à faire traverser le condamné entre deux haies de marins le frappant avec des boulines, qui sont des cordes tressées, servant initialement à tenir une voile.
La Marine ayant trop besoin d'hommes à bord de ses navires, il ne devaient pas être frappé à mort (bien que ce soit la peine théorique appliquée au déserteur en temps de guerre).
Le maximum des courses de boulines était de trois et le maximum des hommes qui infligeaient cette peine corporelle était de trente.

Nous avons parlé d'une époque, où la marine était à voile Avec l'arrivée de la vapeur, des moteurs on a pu parler de « la croisière s'amuse » mais on ne supprimera pas les tempêtes ou les erreurs de navigation, l'ombre du Titanic plane toujours.
Et celle de l'Erika, des dégazages sauvages, des rejets toxiques, et la piraterie existe toujours, l'actualité en fait foi.

A l'époque de la marine à voile, la vie était plus compliquée, dangereusement et durement gagnée, mais on ignorait les quotas, l'homme était libre et respectueux des océans qui le nourrissaient.
Nous aurons une pensée pour tous ces garçons qui ont travaillé sur toutes les mers, y ont vécu dans le bonheur et l'espoir, dans la souffrance aussi, qui ont appris que sur l'Océan on rêve souvent de la terre ; et une pensée aussi pour ceux qui y sont morts, souvent jeunes, mais qui, contre vents et marées, ont déployé des trésors d'héroïsme.
Je vous invite à aller lire ou relire, maintenant avec plus d'attendrissement, les plaques qui tapissent les murs du porche de notre église. Relire ces nombreux noms gravés de marins natifs de Capbreton qui ont péri, souvent bien loin de leur port d'attache. Ils n'ont pu reposer à l'ombre de leur clocher ainsi que beaucoup, beaucoup d'autres, que l'on retrouve dans nos registres !
Ce modeste exposé est un hommage que nous leur offrons.


 Anne-Marie Bellenguez. Capbreton 17 avril 2009

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